31.3.06

Cinéma et perception

Pour prolonger la séance :
1. Un cours de Deleuze sur la perception (Merleau-Ponty et Bergson).
2. Un texte de Victor Hugo (Promontorium somnii)

Bibliographie:
L'oeuvre d'art à l'époque de sa reproductibilité technique, Walter Benjamin (Oeuvres III, folio essais)
L'image-mouvement, Gilles Deleuze (Minuit)
Promontorium somnii, Victor Hugo
Le point de vue, de la vision du cinéaste au regard du spectateur, Joël Magny (les petits Cahiers)
Phénoménologie de la perception, Maurice Merleau-Ponty (TEL Gallimard)
La photo de cinéma, René Prédal (7eART)

15.3.06

Violence du cinéma

Quel rapport entre Lucrèce et Titanic, Aristote et le Soldat Ryan ? La salle de cinéma apparaît comme le lieu idéal pour développer cette proposition : plutôt que subir les images, les utiliser comme pré-texte et comme introduction à la philosophie.

Dans quelques instants, la lumière va s’éteindre, et vous allez pouvoir, confortablement installé dans votre fauteuil, assister à la mort d’un être humain.
Un être humain risque de mourir devant vous.
Disons un. C’est souvent plus. Titanic, trois mille. Le soldat Ryan, combien ?

A un tel spectacle nous pouvons ressentir, et c’est, disait Aristote, ce qui nous sauve, terreur et pitié. Mais la tragédie grecque purgeait les passions car elle était vue rarement, une ou deux fois par an ; le cinéma est un spectacle dont la disponibilité est permanente. La répétition nuit à la catharsis, en usant nos capacités de terreur et de pitié ; trop souvent sollicitées, elles s’amenuisent : nous nous blindons. A l’inverse, Aristote remarquerait peut-être aussi, autre produit moderne, l’apparition d’une terreur sans pitié. Ou d’une pitié mêlée du bonheur de ne pas être à la place de la victime sur l’écran.

Qu’il est doux, écrivait Lucrèce, d’assister à un naufrage depuis le rivage, ou à une bataille sans prendre sa part du danger.
Qu’il est doux, le métier de spectateur.
Non qu’on se réjouisse du malheur d’autrui, mais quelle chance de ne pas y être, quelle joie de voir à quels dangers on échappe.

Aller au cinéma : s’offrir un désastre dans les meilleures conditions possibles ? Titanic ou le Soldat Ryan donnent à la fois le frisson du « comme si on y était », et la certitude heureuse de ne pas y être. On en prend plein la vue, disons-le : plein la gueule. Mais on en ressort invariablement sans une égratignure. Des héros invincibles, des incassables, des survivants professionnels.
Le cinéma, c’est la mort du monde, le monde moins son danger. C’est le monde, pour ainsi dire castré. La prolifération de violence sur les écrans, si souvent dénoncée, n’est possible que parce que l’effet de cette violence n’est pas réel, pas complet. Cette violence est inefficace, elle ne s’exacerbe que parce qu’elle s’exaspère. Le soldat Ryan n’a jamais tué, ni Titanic jamais noyé personne.
Tel est le paradoxe. Plus le film devient violent, plus le siège devient confortable.
Bon fauteuil. Et bon film.

O.P.

Programme ciné-philo

Violence du cinéma (25 février)
Le cinéma, c’est le monde moins son danger. La prolifération de violence sur les écrans n’est possible que parce que l’effet de cette violence n’est pas réel, pas complet : les films de guerre n’ont jamais tué personne. Mais la violence au cinéma est-elle un simple accident de parcours, une maladie toujours possible, ou une nécessité inscrite dans ses origines et sa nature : une violence du cinéma lui-même ?

Le film de l’inconscient (11mars)
Le cinéma nous permet-il d’explorer l’inconscient ? La psychanalyse et le cinéma sont nés ensemble, vers 1895, et leurs destins paraissent liés. Chambre noire de la conscience, projection, condensation, montage… ce vocabulaire et ces procédés communs nous obligent à nous poser la question : avons-nous un film dans la tête ?

Magie ou chirurgie du cinéma ? (25 mars)
Walter Benjamin comparait la peinture à la magie, et le cinéma à la chirurgie. La peinture agit à distance, par l’aura de l’œuvre. Le cinéma, lui, découpe, monte, raccorde, greffe, reconstruit, plongeant les mains directement dans les entrailles du réel. De la Joconde à Frankenstein, comment le cinéma opère-t-il ? Comment fait-il pour entrer dans nos cerveaux et dans nos cœurs ?

Cinéma et Perception (1er avril)
Le cinéma peut-il nous apprendre à percevoir ? A-t-il la puissance d’ouvrir les portes de notre perception ? S’il y a bien un usage pathologique et narcotique du cinéma, s’il y a bien une consommation de films qui s’apparente à une « défonce », le cinéma peut-il faire naître des mondes réellement capables de concurrencer la réalité, de la faire vaciller, de la déplacer ?

Fête du cinéma ou fête de la solitude ? (29 avril)
Si aller au cinéma peut apparaître comme une pratique de compensation, il s’agit d’une compensation collective. C’est le principe de la fête : nous échappons pour quelques instants à la loi, mais ensemble. Le cinéma est cette étrange fête où, tous ensemble, nous souhaitons vivre le plus individuellement possible. Le cinéma moderne peut-il créer autre chose qu’une ultra-solitude ?

Surveiller et punir (13 mai)
Nous reprenons ici le titre du livre de Foucault pour explorer la manière dont le cinéma réfléchit la « société de contrôle » et propose un regard sur les systèmes de surveillance continue qui ont remplacé la mise en scène de châtiments exemplaires et ponctuels. Ou : le cinéma peut-il quelque chose contre les caméras ?

Sport et cinéma : pour la beauté du geste (10 juin)
Le cinéma offre, grâce à la mise en scène, au montage, ou en multipliant les prises jusqu’à obtenir « la bonne », la possibilité d’arriver au geste parfait. Ce rêve d’athlète est aussi un rêve de philosophe. Depuis les Grecs, n’avons-nous pas essayé de fondre éthique et esthétique dans « la beauté du geste » ?

Musique ! La Bande Originale du monde (17 juin)
Socrate, au seuil de la mort, décida de consacrer le temps qui lui restait à apprendre la musique ; Platon évoquait la musique des sphères célestes, modèle d’harmonie. Le cinéma n’hésite pas à user et abuser de sa puissance d’émotion : cordes, percussions, soliste ou orchestre symphonique… La musique adoucit-elle les mœurs du film ou accomplit-elle le rêve hégémonique d’un art total wagnérien ?

http://www.mk2.com/cinephilo/programme_cinephilo.pdf