25.4.06

La promesse de l’accoudoir

Le fauteuil des uns s’arrête là où commence le fauteuil des autres. Mais quelle étrange chose qu’un accoudoir. Un no man’s land, un entre-deux.
A la fois garantie d’espace vital minimum, et ouverture d’un espace encore à conquérir ou à abandonner - une table de négociation, où tout se joue à coups de coudes.



En attendant que le film commence, on attend, on bavarde, on lit. Pendant ce temps, les fauteuils se remplissent, un sur deux, suivant une règle de dispersion où chacun – et ce chacun est de taille variable : individu, couple, groupe -, en cherchant à préserver sa sphère d’intimité, préserve automatiquement celle des autres.

De même que la politesse consiste, en rase campagne, à saluer le promeneur, la politesse urbaine, née de la congestion, consiste à s’ignorer le plus longtemps possible. Alors qu’au théâtre, le bruit du voisin nous gêne pour lui, ou collectivement comme bruit pouvant perturber les acteurs, au cinéma le bruit du voisin est vécu comme une attaque personnelle. On fera tout pour l’éviter, ce voisin. Manteau, sac, parapluie, tout est bon pour marquer son territoire.

Pourtant, art industriel, le cinéma, comme l’architecture, implique d’emblée sa vision collective. Un film est fait pour être vu dans une salle pleine, au coude à coude. Le premier plaisir est de le partager. Les grands ensembles modernes : les films.

Une salle de cinéma connaît ainsi trois états remarquables : le vide, le plein, et le seuil critique du un sur deux. Ce seuil critique est un seuil mental. On n’accepte pas de voisin immédiat dans une salle presque vide, on l’accepte de plus en plus volontiers quand on approche de la salle pleine. Deux plaisirs apparemment opposés - voir le film pour soi tout seul, ou le voir tous ensemble - plongent leurs racines dans le même paradoxe : le cinéma est une fête, donc collective, mais une bien étrange fête, où il s’agirait, tous ensemble, de regagner un peu de solitude. Les uns contre les autres, s’offrir pourtant une respiration.

Il y a dans l’accoudoir escamotable la promesse d’une utopie. Celle d’un monde où les coudes feraient l’amour, pas la guerre. L’utopie – on peut toujours rêver - d’un monde sans coudes.

4 Commentaires:

Anonymous Anonyme said...

L'autre soir, sans le savoir, je faisais l'expérience de n'être personne.
Lorsque soudain sur l'accoudoir un frôlement a interrompu la fête. J'ai tourné la tête : elle m'a regardé, sourire désolé, puis s'est replongée dans le film. Le mouvement s'est reproduit, quelques minutes plus tard. Le sourire était un peu moins désolé, un peu plus long aussi.
Et là, vraiment, j'ai eu l'impression d'être quelqu'un !
Merci pour la fête du cinéma

vendredi, 05 mai, 2006  
Anonymous Anonyme said...

Jusqu'au samedi 29 avril, je faisais moi même l'expérience de n'être personne au ciné-philo ; une petite tête brune engoncée dans son fauteuil rouge, une ciné-philoute comme les autres.
Et puis j'ai eu l'idée de l'amener, Lui, pour qu'il voit à quel point Ollivier a la classe.
Je lis "La promesse de l'accoudoir" et Lui propose de le relever entre nous..pas pour rien que j'aime les fauteuils MK2.. "Si vous avez la chance de connaître votre voisin, vous êtes déjà dans l'intimité" lance joyeusement Ollivier. Petit regard complice entre Lui et Mwa. Et puis il y a eu Strange Days, Cinema Paradiso et la scène qui fait pleurer Ollivier.. Merci à toi d'avoir dit dans un murmure "Vous pouvez embrasser votre voisin" . Lui, il t'a obéi...

mardi, 09 mai, 2006  
Blogger ollivier pourriol said...

Bravo Clarisse, beau travail!

mardi, 09 mai, 2006  
Anonymous Anonyme said...

Merci beaucoup Ollivier ;-) Ah oui, et avant que j'oublie, je tenais à apporter une petite précision qu'il m'avait semblé maladroit d'introduire dans le récit totalement romantique qui précède ; une jeune fille de 18 ans sous la douche, ça ne donne pas CA du tout (j'ai 18 ans, et jme lave souvent..alors, faut me croire, parole d'experte ;-) Briser d'un revers de clavier une image si stimulante pour l'imagination me paraît cruel, mais néanmoins indispensable ; après tout, je ne dévoue ma vie qu'à la quête de la vérité :-D ...

dimanche, 14 mai, 2006  

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