ALAIN : UN PHILOSOPHE EN GUERRE
Du 7 octobre 2006 au 12 mai 2007, Ciné-Philo vous propose, un samedi sur deux, de plonger dans l’œuvre des philosophes en s’appuyant sur leurs textes et sur des extraits de films. Octobre et novembre seront consacrés à Alain. Puis viendront Spinoza, Descartes, Hegel, et Deleuze. Les séances sont animées par Ollivier Pourriol.
« Si je déshabille un général, je trouve un homme ; et quand je le disséquerais, et quand nous serions mille fois plus savants que nous ne sommes, je suis sûr que nous ne trouverons en sa structure aucune fibre, ni aucune bosse, ni aucun composé chimique, qui soient spécialement militaires. En cet animal étalé ici et ouvert comme un livre sur la planche à disséquer, j’aperçois le mécanisme de la peur, qui consiste en ceci que tous les muscles, à la première alerte, se tendent, se contrarient, renvoient le sang au ventre, étranglent la vie. »
Si Platon comparait la dialectique à l’art de découper le poulet selon ses articulations, Alain invente pour sa part la dissection du général. Cette analyse au sens fort, cette mise à nu du mécanisme est sans complaisance. L’homme a fait la guerre, et on le sent, a subi les officiers. Mais ce n’est pas qu’un homme en colère qui s’exprime ici, ce n’est pas qu’un « soldat mécontent », comme l’appellera un de ses amis quelques années après l’armistice de 1918, c’est un philosophe en colère, qui appelle Descartes à la rescousse, et use du Traité des Passions comme d’une arme, contre l’hypothèse absurde mais tenace d’une qualité occulte, qui prédisposerait certains hommes à faire la guerre, de même que certains hommes seraient doués de quelque compétence innée en matière politique.
La vérité nue est bien plus simple : l’homme, dès qu’il entre dans une fonction de commandement, est mécaniquement conduit, par la structure de son corps, et par les passions qui s’ensuivent, à faire la guerre. Naïvement, dans la lignée de celui qu’il appelle le « divin Platon », Alain dit qu’on pourrait vouloir mettre sur le trône les plus sages. Mais le plus sage, dès qu’il est monté sur le trône, répond à cet autre adage platonicien, selon lequel « le pouvoir corrompt », et devient Louis XIV, c’est-à-dire fat et sot, comme il convient à la fonction. Le chef, dit Alain, est méchant par nature. « Je suis persuadé, écrit-il, qu’il y eut des moments où Alexandre, César ou Napoléon furent bêtes comme j’ai toujours juré de ne l’être pas. Telle est l’histoire sommaire de mes ambitions. » Les philosophes ne veulent pas être rois, telle est leur ambition. Telle est leur guerre.
« Si je déshabille un général, je trouve un homme ; et quand je le disséquerais, et quand nous serions mille fois plus savants que nous ne sommes, je suis sûr que nous ne trouverons en sa structure aucune fibre, ni aucune bosse, ni aucun composé chimique, qui soient spécialement militaires. En cet animal étalé ici et ouvert comme un livre sur la planche à disséquer, j’aperçois le mécanisme de la peur, qui consiste en ceci que tous les muscles, à la première alerte, se tendent, se contrarient, renvoient le sang au ventre, étranglent la vie. »
Si Platon comparait la dialectique à l’art de découper le poulet selon ses articulations, Alain invente pour sa part la dissection du général. Cette analyse au sens fort, cette mise à nu du mécanisme est sans complaisance. L’homme a fait la guerre, et on le sent, a subi les officiers. Mais ce n’est pas qu’un homme en colère qui s’exprime ici, ce n’est pas qu’un « soldat mécontent », comme l’appellera un de ses amis quelques années après l’armistice de 1918, c’est un philosophe en colère, qui appelle Descartes à la rescousse, et use du Traité des Passions comme d’une arme, contre l’hypothèse absurde mais tenace d’une qualité occulte, qui prédisposerait certains hommes à faire la guerre, de même que certains hommes seraient doués de quelque compétence innée en matière politique.
La vérité nue est bien plus simple : l’homme, dès qu’il entre dans une fonction de commandement, est mécaniquement conduit, par la structure de son corps, et par les passions qui s’ensuivent, à faire la guerre. Naïvement, dans la lignée de celui qu’il appelle le « divin Platon », Alain dit qu’on pourrait vouloir mettre sur le trône les plus sages. Mais le plus sage, dès qu’il est monté sur le trône, répond à cet autre adage platonicien, selon lequel « le pouvoir corrompt », et devient Louis XIV, c’est-à-dire fat et sot, comme il convient à la fonction. Le chef, dit Alain, est méchant par nature. « Je suis persuadé, écrit-il, qu’il y eut des moments où Alexandre, César ou Napoléon furent bêtes comme j’ai toujours juré de ne l’être pas. Telle est l’histoire sommaire de mes ambitions. » Les philosophes ne veulent pas être rois, telle est leur ambition. Telle est leur guerre.