9.5.06

Surveiller et punir


Copyright photo Isabelle Nègre






Vivre sous les projecteurs est un rêve d’acteur. Mais si les projecteurs ne s’éteignaient jamais ? Si acteurs, nous l’étions désormais tous, contre notre gré ? Pire : pour notre sécurité. Quelle autre échappatoire que de passer du côté des spectateurs ?

Dès qu’ils sont en âge de le peupler de monstres, les enfants ont peur du noir. Alors, pourquoi ce frisson de bonheur quand la lumière s’éteint dans une salle de cinéma ? Pourquoi l’obscurité, ailleurs toujours créatrice d’angoisse, de trouille, d’horreur, se fait ici promesse heureuse ?

Est-ce la promesse d’une aube filmique qui fera renaître la lumière, d’un voyage compensatoire, d’une aventure perceptive ? Ou, tout simplement, et pour commencer, est-ce le bonheur de ne plus être filmé - de se savoir enfin, même pour quelques instants, imperceptible ?

Partout les caméras. Dans les gares, les aéroports, le métro, la rue – elles prolifèrent. Vidéosurveillance, caméscopes, et surtout téléphones portables, à la fois caméras, écrans, systèmes de diffusion. La question n’est même plus comment ne pas être perçu, mais comment ne pas être enregistré ?

Quand Marcel Pagnol écrivait à Albert Cohen : « Dépêche-toi, Albert, nous sommes surveillés. », il pensait à la mort qui nous guette toujours du coin de l’œil, en attendant de nous braquer son projecteur définitif en pleine figure et de nous éblouir à jamais.
Alors que, comme Foucault l’a si bien analysé dans Surveiller et punir, la surveillance continue qui a remplacé les châtiments dans nos sociétés de contrôle n’est jamais unilatérale : les surveillants sont eux-mêmes surveillés. Regarder la télé, c’est bien à la fois surveiller ( les émissions de télé-réalité, avec leur dispositif carcéral, reposent sur ce principe du panoptisme, du « tout voir » sans être vu de celui qu’on observe), et être surveillé (L’audimat mesure les regards, et les catégorise pour savoir qui regarde quoi.).

Le dernier endroit, dans une ville, où l’on échappe aux caméras, ne serait-ce pas… le cinéma ? Quel soulagement, enfin un peu d’obscurité. D’intimité.

Ne vous retournez pas, il y a une caméra derrière vous. Braquée sur l’écran, elle permet au projectionniste de surveiller le film. Avec un peu de chance, elle n’apercevra de vous qu’une ombre chinoise.