3.12.06

SPINOZA LE BIENVEILLANT

Après les séances consacrées à Alain, Ciné-Philo se consacre à Spinoza. C’est tout naturellement Alain qui, avec l’élégance qui le caractérise, cède sa place en nous présentant le sage et pourtant si dérangeant philosophe, pour qui les démonstrations étaient « les yeux de l’âme ». Le cinéma nous aidera-t-il à les garder ouverts ?

« [ …] On trouve plus d’âme dans les persécuteurs, dans les guerriers, dans tous les Glorieux de l’Histoire, que dans le Juif studieux qui pourtant sera amené à porter dans les rues l’écriteau que Spinoza portait pour dénoncer tous les tyrans.
La question se trouve ainsi clairement posée. Car il faut préférer la justice et venger l’innocent. Je ne vois pas sans surprise la masse imposante des prêtres et des fidèles, enfin de toute l’Eglise, faire si souvent le contraire et confirmer l’esclavage universel. J’ai dit quelquefois que la philosophie était bien dangereuse. Aussi nul homme ne fut plus réfuté que Spinoza. Nul système ne fut plus maudit que ce détestable panthéisme. Il reste à savoir ce que c’est. Parce que Dieu est un et indivisible, Dieu est partout présent ; comme au reste on l’enseigne. Mais malheur à qui l’enseigne. Et le jésuite éternel nous rappelle qu’il ne faut pas le dire. Quand vous aurez assez considéré toutes ces contradictions, qui font la guerre parmi nous, alors vous copierez l’Ethique d’un bout à l’autre, car c’est par là qu’il faut commencer si l’on veut éprouver cette beauté biblique, type de toute grandeur.
Après cela, les très sages Propositions et les très prudents Scholies de l’Ethique vous sembleront de grands et beaux versets de la nouvelle religion. Et dites-vous bien que la Grande Réconciliation se fera ainsi, et non autrement ; par le culte de l’Humanité retrouvée et par ce qu’il faut appeler le joyeux fanatisme de la Raison. Songez au nombre des humains qui sont indignés en voyant que c’est la déraison qui règne. Car, enfin, il faut s’y opposer. On n’a pas le droit d’abandonner la Raison et la Justice. Ces abandons ont mérité ce que nous voyons présentement.
[…] Par ce moyen vous formerez le parti Spinoza, que vous vous garderez d’appeler le parti juif, mais qui n’en sera pas moins ce parti-là. Alors, sans combat, le nazisme, le fascisme et toute sorte de despotisme seront vaincus, et la méchanceté exactement impuissante, comme elle est (car elle n’est rien). Tel est l’avenir prochain, que renferme ce petit livre. »

Alain, Spinoza (préface)

Le 5 décembre 1946